Au coeur de l'horreur

Notre chronique sur le film culte Braindead de Peter Jackson

 

Synopsis :

Nouvelle-Zélande, 1957. Lionel et Paquita tombent fous amoureux l’un de l’autre en un regard. Mais l’abominable et liberticide mère de Lionel ne voit pas tout cela d’un très bon œil. Alors qu’elle espionne son fils lors de son premier rendez-vous galant au zoo, elle se fait mordre par un singe-rat. Peu après, elle se transforme petit à petit en un monstre cannibale dévastateur…

Janvier 1996. L’hymne d’une génération débarque sur les ondes et envahissent des millions de tympans à travers le monde : « Wannabe » des Spice Girls résonne jusqu’en Ouganda. Une page de l’histoire de France se tourne avec le décès de François Mitterand, Ronaldo marque un but légendaire lors du match Barcelone – Compostelle et Michael Jackson divorce de Lisa-Marie Presley.

Et moi, j’ai dix ans. J’ai dix ans et les histoires de cul du King of Pop ne me concernent pas plus que le football. Quant aux Spice Girls, c’est tout juste si elles éveillent en moi certains sentiments naissants, à mi-chemin entre un spectaculaire agacement et une irrépressible et honteuse chaleur intérieure. Oui, le Président est mort et moi, je ne trouve rien de mieux à faire que d’écumer, comme chaque mercredi après-midi, les rayons de mon vidéoclub préféré, à la recherche d’une pépite qui pourra égayer mes pulsions de cinéphage en devenir. Et puis, j’ai déjà vu toute la série des Beethoven, alors…

Et puis tout d’un coup… Horreur. Malheur. Mais que vois-je, là, devant moi, trônant fièrement sur l’une des étagères, comme si de rien n’était ? Une affreuse jaquette avec ce qui ressemble fort à un bébé zombie… Est-ce une farce ? Est-ce le nouveau film de Macaulay Culkin, type « Maman, j’ai raté ma chimio » ? Toujours est-il que mes mirettes s’ouvrent en grand, à la fois tétanisées et irrémédiablement attirées par cet objet démoniaque. Je m’empare donc de la K7 et, de ma voix la plus doucerette, supplie mon oncle qui m’accompagne de me laisser visionner ce fameux « BRAINDEAD », non sans avoir écouté attentivement la mise en garde du gérant.

Peut-être que, d’une certaine façon, ma vie a pris une tournure inattendue le soir-même. J’aimais déjà énormément de choses différentes à cette époque : les comédies de Louis de Funès, celles de Charlie Chaplin et, bien entendu, les multiples facéties de Bugs Bunny, de Taz ou de Coyote. Mais BRAINDEAD se proposait se réunir en un seul métrage tout ce qui était susceptible de m’offrir une évasion parfaite dans un monde qui m’était alors inconnu.

Oui papa. Oui maman. J’aime ce film. Je le regarderais encore une petite dizaine de fois avant d’aller le rendre au vidéoclub. Non papa. Non maman. Je ne suis pas le rejeton du Diable et je vous promets solennellement que ce film ne fera pas de moi un sociopathe. Je ne sombrerais jamais dans la drogue et promis, je vous aimerais toujours d’un amour inconditionnel.

Plus de 20 ans après son apparition sur les écrans, que reste-t-il aujourd’hui de ce chef d’œuvre foutraque et gore à souhait que son auteur, l’inénarrable Peter Jackson, a conçu avant tout comme une histoire d’amour tragique ? Qu’en reste-t-il sinon l’amer constat que rien de semblable n’a daigné éclairer nos cœurs avides de tripailles et d’émotion avec autant de brio ?

Mâtinée d’une insouciance bienvenue, le film se conjugue avec une maîtrise au cordeau du genre, de ses influences et surtout d’un chapelet de registres différents et a priori antinomiques : l’histoire d’amour des deux personnages principaux est littéralement au centre de l’intrigue et s’avère être le cœur de la narration. Lionel aime Paquita, Paquita aime Lionel. Cela pourrait très bien se passer, du reste si la mère de Lionel n’envisageait pas de garder son fils pour elle seule. Plongés au cœur de la tourmente, les deux amoureux vont devoir affronter les forces les plus obscures pour pouvoir s’aimer, puisque tel est leur destin. Mais ici, lesdites forces obscures revêtent de bien troublants oripeaux et c’est là que le film atteint des sommets de génie en utilisant le gore comme d’un medium de cartoon où le gag grand-guignolesque s’avère être à la fois la menace et la délivrance. En témoignent la fulgurance d’un curé adepte de kung-fu dézinguant à coup de tatane des loubards zombies ou encore cette séquence – devenue culte – où Lionel se retrouve à promener un effrayant bébé zombie dans un parc public et où, forcément, la situation va radicalement lui échapper. La bonne idée de Peter Jackson ici est justement de s’appuyer sur une mécanique du slapstick proche des meilleurs Chaplin et Buster Keaton. Le comédien Timothy Balme fait preuve d’une agilité incroyablement précise, d’une touchante maladresse et d’une sensibilité surprenante pour tenter de maîtriser au mieux ce bébé zombie rieur. L’autre influence majeure de Peter Jackson en matière de comédie se niche sans doute dans le classique des Monty Pythons « Sacré Graal ! » (1975) où le Roi Arthur s’adonne au démembrement de l’insolent Chevalier Noir qui vient de le provoquer.

Braindead

A la lumière de la carrière de Peter Jackson que l’on connaît aujourd’hui, on ne peut que saluer la cohérence de son œuvre en notant les multiples marottes que son auteur n’a eu de cesse de disséminer depuis BRAINDEAD : le début du film se déroule sur une fameuse « île du Crâne » (île emblématique du « King Kong » de Merian C. Cooper & Ernest Schoedsack (1933), dont Jackson a réalisé le très réussi remake en 2005.) Dans la séquence d’introduction de BRAINDEAD, Jackson se permet non seulement de faire une tendre allusion à ce classique (les explorateurs ne capturent pas de gorille géant mais un singe-rat), revient aux bases du folklore antillais d’où provient la légende du mort-vivant et par le biais d’une animation image par image, amorce un clin d’œil plein subtil aux effets spéciaux poétiques d’un Maître en la matière : Ray Harryhausen (« La vallée de Gwangi » (1969), « Le 7ème voyage de Sinbad » (1958).

On remarque encore que la trame de BRAINDEAD évoque en filigrane un certain Seigneur des Anneaux : le timide et banal Lionel se retrouve malgré lui promis à une incroyable destinée. En effets, la pythie qu’il rencontre voit en lui un héros et lui remet un talisman magique avec lequel il devra lutter contre les enfers qui étendent son ombre sur son univers paisible ! Ce n’est donc pas si étonnant si on veut bien se souvenir que Jackson avait aussi envisagé, après son premier film « Bad taste » (1987), de réaliser une histoire saupoudrée d’Heroïc Fantasy, projet pour lequel il revendiquait déjà l’influence de Tolkien.

Non content d’être aujourd’hui une œuvre incontournable du cinéma d’horreur à l’instar de « Evil Dead » de Sam Raimi (1981) où de « Zombie » de George Romero (1978), BRAINDEAD peut, à bien des égards, revendiquer le statut prisé de film-orchestre parfait et, s’il est nécessaire aujourd’hui d’affirmer haut et fort la pertinence et le culte mérité de cette œuvre, c’est avant tout parce que l’insouciance enfantine et la folie douce de Peter Jackson reste encore aujourd’hui inégalée. En de nombreux points, BRAINDEAD pourrait presque (mais alors, vraiment presque) être considéré comme un film pour enfants. Car aussi étonnant que cela puisse paraître, malgré ses tonnes de viande dégoulinantes à l’écran et les hectolitres d’hémoglobine déversée, ses empalements, ses décapitations, le processus de putréfaction et les morceaux de joue qui tombent dans la soupe, BRAINDEAD présente la décence de tout assumer à sang pour sang et de ne jamais prétendre distiller la peur et l’effroi. Nous n’avons à faire ici avec aucun malaise ni aucune immoralité. Le comportement des personnages et les personnages en eux-mêmes (la mère de Lionel et l’oncle Lès en particulier) sont assez grossiers pour que leurs agissements n’influent pas sur la conscience d’un esprit innocent comme on a pu l’entendre injustement. Bien au contraire ! Oui, l’un des films les plus gores du cinéma d’horreur est un divertissement tous public. En témoigne d’ailleurs de ce très joli moment où des viscères dotés d’une vie propre tentent par tous les moyens de se frayer un passage parmi les corps, pour peut-être envisager une autre vie, dehors, sous de nouveaux horizons… Bon. Eh bien quoi ? Ce sont des viscères, et alors ? Remplacez-les à l’image par un vieux chien malade, par exemple et qu’obtenez-vous ? Des millions d’enfants pleurant à chaudes larmes dans les salles obscures et leurs parents, attendris, qui attendront le Noël prochain pour leur offrir un petit Médor baveux.

Braindead

Avec BRAINDEAD, le sale gosse Peter Jackson adresse une déclaration d’amour à tous les sales gosses du monde entier avec un message complètement libertaire : « Eclatez-vous ! Rien n’est sérieux ! La mort vous fait peur ? Alors riez-en ! Vous verrez, c’est facile, il suffit juste de faire farce de chaque abomination ! » C’est donc sous l’angle d’une véritable ode au mauvais goût que BRAINDEAD se place en alternative jouissive et transgressive d’une génération dopée au consensualisme montant d’un cinéma dit « populaire ».

Mais si les amoureux du genre croient toujours envers et contre tout à cette magie du genre, si le cinéma d’horreur conserve encore jalousement ses plus belles cordes à son arc distendu ; et surtout s’il existe encore – quelque part, en Nouvelle-Zélande ou même sur votre propre palier – des sales gosses aussi fous pour, comme Jackson, faire cuire un moulage de cadavre en décomposition dans le four de leur mère…

Alors peut-être…

Peut-être que tout n’est pas perdu.

BALTRAP

Braindead

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1 commentaire

Alexia 9 juillet 2015 at 13 h 06 min

Ouaaaah, si ça c’est pas de l’amour… Cela ne fait que quelques années que je me suis mise aux films d’horreur. Bah oui, je suis une vraie pétocharde (et encore aujourd’hui), alors que toi à 10 ans, tu le matais, moi, je faisais des nuits blanches en ne voyant qu’une image (de ce bébé zombie, de Chucky ou Freddy…). Mais je l’ai regardé car depuis le Seigneur des Anneaux, j’adore Peter Jackson et je me suis mise à regarder ses films. Alors oui, je savais que c’était complétement différent et je dois dire que j’ai adoré ce film. On passe un bon moment à rire car c’est tellement trop. J’avoue que j’ai fait la grimace avec la peau qui tombe dans l’assiette. Mais c’est vrai que le coup du prêtre Kung Fu, mais aussi quand il fornique avec l’infirmière c’est assez drôle vu qu’ils nous donnent un magnifique bébé zombie qui ne peut que nous faire rire. 🙂

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